Forces

Que manque-t 'il au paradigme de l'organisation basée sur les compétences (SBO) ?

Que manque-t 'il au paradigme de l'organisation basée sur les compétences (SBO) ?

La plupart des entreprises avec lesquelles je travaille sont actuellement soit en train de passer à une organisation basée sur les compétences (SBO), soit en train d’y réfléchir. Ce n’est pas surprenant, car donner la priorité à des compétences mesurables plutôt qu’aux rôles traditionnels ou aux diplômes permet d’élargir les viviers de talents, d’accroître l’agilité et la mobilité interne, et d’assurer une meilleure adaptation des organisations face aux évolutions rapides de l’IA (Cantrell et al., 2022).

Cependant, alors que les entreprises remplacent des intitulés de poste rigides par des modèles basés sur les compétences, choisissent leurs taxonomies de compétences et se lancent dans la cartographie des compétences, je ne peux m’empêcher de me demander : est-ce vraiment suffisant de se concentrer uniquement sur les compétences ?

Ne serait-ce que la semaine passée, lors d’une présentation devant le comité exécutif RH de l’une des plus grandes entreprises européennes de haute technologie, cette question a fait briller quelques regards de curiosité. Le problème, c’est que sans comprendre la différence entre forces et compétences, et en se focalisant uniquement sur ces dernières, les entreprises risquent de passer à côté de ce qui alimente réellement l’engagement, la résilience et l’innovation. Pire encore, elles pourraient sans le vouloir créer les conditions propices à l’épuisement et au burn-out.

Compétences vs. Forces

Les compétences sont des aptitudes, à la fois techniques (comme le codage ou l’analyse de données) et humaines (comme la pensée critique ou l’intelligence émotionnelle), qui peuvent être apprises, développées et appliquées pour accomplir des tâches ou atteindre des objectifs. Les forces, quant à elles, sont des qualités innées et authentiques qui permettent une performance supérieure, s’alignent avec les talents naturels d’un individu, et génèrent une énergie ainsi qu’un engagement accru lorsqu’elles sont mobilisées. Compétences et forces reflètent toutes deux ce dans quoi nous excellons, et peuvent même sembler très proches, car elles contribuent toutes deux à la performance. Pourtant, une différence essentielle les distingue : l’énergie ressentie lorsqu’on utilise ses forces, un aspect totalement absent lorsqu’on parle de compétences.

Pourquoi les forces perdurent plus longtemps que les compétences

1. Les compétences expirent, les forces évoluent

Les compétences techniques, comme coder dans un langage bientôt obsolète, ont une durée de vie limitée. Les forces, comme la résolution de problèmes ou la collaboration, prospèrent dans n’importe quel rôle ou secteur. Un esprit stratégique aujourd’hui le sera encore dans dix ans, même si tous ses outils ont changé entre-temps.

2. Les compétences comblent des lacunes, les forces nourrissent la passion

Se concentrer uniquement sur les compétences risque de placer des personnes dans des rôles où elles excellent… sans pour autant y trouver de sens. Les rôles fondés sur les forces, eux, alignent le travail avec ce qui donne de l’énergie aux collaborateurs. Imaginez un analyste de données doué pour les tableurs mais véritablement talentueux pour le storytelling : l’impliquer dans des projets en contact avec les clients pourrait révéler une valeur insoupçonnée (jeu de mots sur Excel totalement assumé).

3. L’usage des compétences peut mener à la fatigue, celui des forces à l’épanouissement

À long terme, l’utilisation intensive de compétences acquises mais non soutenues par des forces personnelles peut entraîner ennui, fatigue, voire burn out. À l’inverse, des recherches montrent que l’usage des forces au travail améliore non seulement la performance, mais aussi la confiance en soi, l’engagement, la satisfaction professionnelle et le bien-être (Miglianico et al., 2020 ; Luan et al., 2023).

Intégrer les compétences et les forces

Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas de choisir entre l’un ou l’autre. L’approche basée sur les compétences (SBO – Skills-Based Organisation) présente de nombreux avantages, mais les organisations doivent également intégrer de manière consciente et explicite les forces dans leur nouveau modèle opérationnel.

• Cartographier les forces, pas seulement les compétences : Utilisez des outils d’évaluation des forces existants, comme des cartes de forces numériques, pour identifier les forces naturelles des employés. Cela permet une approche beaucoup plus holistique de l’évaluation des personnes dans leur globalité.

• Concevoir les rôles en partant des forces : Au-delà des compétences techniques et fonctionnelles nécessaires à un poste, analysez les profils de forces des collaborateurs les plus performants. Cela permet d’identifier les qualités et talents innés qui mènent à l’excellence, et de mettre l’accent sur l’expression des forces plutôt que sur un simple inventaire de compétences.

• Utiliser les forces comme base pour développer les compétences : Favorisez l’apprentissage de compétences en lien avec les forces individuelles. Par exemple, une personne ayant une force en communication pourrait bénéficier de formations en écriture persuasive, storytelling ou prise de parole en public. De même, une force en pensée analytique se prêterait bien à l’apprentissage d’outils de data visualisation (comme Tableau), de modélisation statistique ou de programmation Python.

• Intégrer des questions sur les forces dans les entretiens et les bilans annuels : Adoptez une approche de coaching pour formuler des questions permettant de révéler ce que les personnes font naturellement bien et ce qui les énergise. Utilisez ces informations pour mieux faire correspondre les talents aux besoins de l’entreprise, encourager la mobilité sur les projets, et enrichir les efforts de cartographie et de développement des compétences.

• Former tous les managers à la compréhension et à l’usage des forces : Utilisez des cartes de forces lors de vos prochains ateliers de développement du leadership pour initier les managers à cette approche. Ensuite, réfléchissez à comment intégrer les forces dans les processus de recrutement, d’onboarding, de développement professionnel et de gestion de la performance.

• Intégrer des variables subjectives dans l’évaluation de la performance : En complément du suivi des KPI traditionnels, incluez des questions sur l’engagement individuel et le bien-être. Cela permet de repérer d’éventuels déséquilibres causés par une dépendance excessive aux compétences seules.

En résumé

Les compétences comptent, bien sûr — mais elles ne sont que le point de départ, pas la finalité. Ce sont les forces qui permettent aux individus de réellement s’envoler. En combinant l’agilité fondée sur les compétences avec une vision centrée sur les forces, les entreprises ne se contentent pas de préparer leur organisation à l’avenir : elles créent des cultures où les collaborateurs se sentent reconnus, et non simplement utilisés. Elles posent ainsi les bases d’une performance durable, ancrée à la fois dans l’engagement et le bien-être.

Car au fond, l’objectif n’est pas simplement de construire une équipe capable de suivre le rythme, c’est de bâtir une équipe qui montre la voie.

Cantrell, S., Griffiths, M., Jones, R., & Hiipakka, J. (2022). The skills-based organization: A new operating model for work and the workforce. Deloitte Insights; Deloitte. Luan, Y., Zhao, G., Xu, L., & Ren, B. (2023). Strengths use in the workplace: A meta-analysis. Journal of Psychology in Africa, 33(6), 612-617. Miglianico, M., Dubreuil, P., Miquelon, P., Bakker, A. B., & Martin-Krumm, C. (2020). Strength uses in the workplace: A literature review. Journal of Happiness Studies, 21, 737-764.

En lire plus

Les 4 clés de la motivation en Psychologie Positive

Laisser un commentaire

Tous les commentaires sont modérés avant d'être publiés.

Ce site est protégé par hCaptcha, et la Politique de confidentialité et les Conditions de service de hCaptcha s’appliquent.