“Pardonner, c’est résister à la cruauté du monde”. E.Morin
En psychologie positive, le pardon constitue l’une des forces de la personnalité répertoriées par la science (notamment dans le test des forces Values In Action ). Il s’agit de la capacité de faire la paix avec soi-même par rapport aux mots ou à l’acte d’une personne ayant causé en nous une blessure.
Cela peut paraitre surprenant par rapport à l’acception habituelle du concept de pardon.
Dans l’inconscient collectif, le pardon est encore aujourd’hui davantage considéré comme un concept issu de la religion chrétienne. Est un bon chrétien celui qui sait pardonner, transcender la douleur que l’autre lui a fait subir et voir en l’autre l’humain, le pêcheur et par là, au-delà de l’acte ayant causé le dommage.
Il peut également sembler implicite que pour pardonner, la présence de la personne en cause est indispensable. Le fait de lui dire « Je te pardonne de m’avoir blessé »amènerait de la paix dans la relation.
En psychologie positive, il est admis que la présence de la personne qui nous a blessé n’est absolument pas nécessaire et même au contraire, il s’agit d’un travail sur soi.
En effet, la priorité est de faire la paix en soi-même avec l’autre, d’effectuer le processus intérieurement, en soi-même.
Mais comment y arriver ?
Une première étape peut être d’accepter l’absence de la personne qui nous a blessée. En somme, il s’agit d’accepter la solitude qu’implique le processus du pardon qui vise en premier lieu à trouver la paix en soi.
Pour arriver à cela, certaines pensées peuvent nous aider :
Nous pouvons entrer en empathie avec cette personne. La personne qui nous a heurté n’a peut-être pas su agir autrement mais aurait probablement souhaité réagir différemment. Cette personne éprouve peut-être de la culpabilité vis-à-vis de son acte sans pour autant qu’elle l’ait montré, ou encore, cette personne vis dans un monde tellement noir qu’elle n’avait pas les clés pour agir autrement.
Ainsi, il s’agit de tenter de se mettre à la place de l’autre sans oublier l’acte mais en ne condamnant pas la personne dans son entièreté. Cette personne, ç’aurait pu être moi ou n’importe qui d’autre. Tous les humains commettent en permanence des erreurs. Cette personne, par son acte, a réveillé en moi une tempête, de la haine, de la colère.
Pour redescendre de me colère, je peux me reconnecter à l’humain dans toute son imperfection et surtout au fait que cette colère intérieure est invivable pour moi sur le long-terme. Je ne puis accepter plus longtemps de donner le pouvoir sur ma vie à cette personne, ni à qui que ce soit d’autre.
Si cette haine que je vis m’empêche de vivre, il en va de ma seule responsabilité de l’apaiser puisque je suis la seule personne à même d’accéder à mon intérieur, je suis seul porteur et responsable de mon être.
Voici une anecdote illustrant ce processus :
K. était très en colère depuis des mois contre son père car elle lui avait exprimé la souffrance qu’elle avait vécue de son absence lors de son adolescence et du fait qu’elle s’était sentie dévalorisée par lui. Depuis ce jour où elle avait dit tout ce qu’elle lui reprochait, il ne l’avait plus jamais rappelée ni donné le moindre signe de vie et la colère était montée pendant cette période d’absence totale de contact. Ainsi, il avait choisi la fuite au lieu de se reconnecter à elle.
Face à tant d’injustice, K. restait dans l’incompréhension totale et dans la colère, en ne parvenant pas à trouver la paix intérieure, en accusant son père encore et encore dans sa tête, ce qui l’amenait à un paroxysme de colère et de haine qui l’empêchait d’être heureuse et tout simplement, d’être dans l’instant présent. Un jour, K. en eut assez de se gâcher la vie alors que la personne prétendument responsable de son malheur n’était pas présente dans sa vie. Elle cherchait la paix intérieure car elle se rendait bien compte qu’elle seule était touchée par cette haine, que seule sa vie en pâtissait.
L’une de ses amies lui proposa un jour une séance lors de laquelle elle prendrait le rôle de son père afin que K. puisse lui exprimer tout ce qu’elle souhaitait pour retrouver cette paix intérieure. La séance s’est déroulée et K. a pu exprimer tout ce qu’elle voulait. D’abord, ça a été des reproches « tu m’as abandonnée », « tu m’as rabaissée et aujourd’hui je n’ai pas confiance en moi » … Puis petit à petit, au fil du dialogue, K. est arrivée à un endroit différent de la colère. Elle s’est rendu compte que son père lui manquait et qu’elle aimerait simplement retrouver un lien avec lui, un lien peut-être plus authentique. Un peu après, elle s’est rendu compte que son père faisait probablement ce qu’il pouvait avec ce qu’il avait et que quelque part, l’amour qu’elle avait pu ressentir enfant de sa part était encore là quelque part. Et c’est à ce moment-là qu’elle s’est sentie libérée, en se reconnectant à l’humanité, faite d’erreurs et de grâce. Au moment où elle ne voyait plus son père comme le coupable, sans cœur mais comme une personne comme une autre, avec toutes ses limitations, capable du meilleur comme du pire. Elle a finalement compris que malgré le fait qu’il ne savait pas exprimer son amour, son amour était là quand même.
Dans cette anecdote, K. a eu besoin de l’intervention d’une personne pour effectuer le processus.
ll est possible de faire la même démarche seul.
La lettre de pardon
Le Dr Ilona Boniwell propose notamment l’exercice de la lettre de pardon, qui consiste à écrire une lettre à la personne qui nous a blessé, la pardonnant pour ce qu’elle nous a fait, sans jamais envoyer la lettre. Cela peut permettre d’extérioriser les pensées puis de les trier afin de passer de la colère et des reproches à l’essentiel, à l’acceptation et à la non-condamnation éternelle de l’autre pour son acte.
Comme le disait Desmond Tutu, le pardon permet “un nouveau départ”. A la fois pour soi, il amène la paix intérieure et pour l’autre, qui a pu sortir de son rôle de coupable.