IB : Qu’est-ce qui vous fascine en ce moment ? Il y a-t-il une découverte récente (qui n’est pas encore publiée) qui vous anime plus particulièrement ?
MS : Le premier domaine traite de la projection de soi dans le futur. Je travaille à développer des exercices qui améliorerait cette compétence chez les personnes, un peu comme il y a vingt ans nous avons développé des exercices pour rendre les gens plus positifs.
Ensuite, une unité de police nationale souhaite PERMAfier ses troupes. Vous savez, les policiers et les gendarmes sont très négatifs, ils voient le pire partout et ont souvent beaucoup de préjugés qui teintent leurs réactions. Nous voulons augmenter leur bien-être et développer leurs compétences sociales afin de voir si cela leur permet de se sentir mieux d’une part, et d’autre part de mieux apaiser des situations et affrontements tendus et qui s’intensifient.
Nous travaillons également avec A Royal College of Surgeons qui se penche la qualité des chirurgies pour le patient. Il est largement reconnu qu’on se remet mieux d’une chirurgie si on est de bonne humeur. Ainsi, j’ai soulevé la possibilité d’avoir des « personnes PERMA » qui vous remonteraient le moral, vous rendraient plus joyeux, dans le cadre du service hospitalier. Un peu comme des rayons de soleil qui amélioreraient l’humeur. C’est donc mon troisième projet.
Enfin, un autre est la numérisation et la gamification de l’éducation positive – il y a tellement d’enfants et de jeunes dans le monde qui pourraient devenir des adultes plus heureux. Il n’y a cependant pas assez d’enseignants pour apprendre le bien-être aux enfants, on ne peut donc pas le faire de visu. Pourquoi ne pas chercher à numériser et gamifier cet enseignement ?
IB : Qu’est-ce que vous n’avez pas encore trouvé ? Quelle est votre prochaine question majeure ?
Je crois que ce qui me dérange encore est que la science autour de la projection de soi dans le futur et de la psychologie positive est bonne, mais elle pourrait être meilleure, une science plus perspicace, plus précise. Ainsi, j’attends qu’une meilleure science émerge. Je pense que les mises en application fonctionnent plutôt bien. J’ai toujours souhaité ancrer cela plus profondément dans les milieux scientifiques et de recherche universitaire, mais j’ai eu des difficultés à faire comprendre au plus grand nombre que le bien-être – par rapport à la misère – est un sujet scientifique viable.
IB : Encore maintenant ?
MS : Oui, la science est bonne, mais elle n’est pas exceptionnelle.
IB : Bon, très bien… Pour reparler de la gamification, du jeu. C’est ce que je fais le plus en ce moment – développer des outils qui créent du jeu. Quel est la place du jeu en psychologie positive ? Il me semble que c’est un sujet que nous n’avons que peu abordé à ce jour.
MS : Vous savez, je me suis toujours intéressé au jeu, et ça n’a jamais été réellement intégré à la psychologie positive. Et vous le savez, le fait de s’amuser y est pourtant lié de très près, et n’a pas été intégré non plus. Par ailleurs, jouer et s’amuser ne sont pas synonymes, c’est différent. Je joue très sérieusement au bridge et j’adore le bridge, mais ce n’est en rien amusant ! Ainsi, il faudrait différencier le jeu (le bridge est un jeu par exemple) de l’amusement, qui est un sujet très différent, mais personne n’a encore fait de recherche sur ce sujet.
IB : Je suis d’accord avec vous. Pour ma part, ce que je pratique est de l’ordre du jeu. Le « Serious Play » (le jeu sérieux). Du jeu au niveau du groupe. Parfois c’est amusant, mais pas toujours. Par exemple, j’intègre beaucoup de Lego Serious Play dans mes formations en psychologie positive – ça génère beaucoup de participation et d’engagement, mais ce n’est pas toujours amusant. Dans votre livre, vous revenez souvent sur le bridge. Que représente le bridge pour vous ? Est-ce un environnement différent, une bouffée d’air frais ?
MS : Je ne sais pas réellement de quoi il s’agit, mais il y a le fait de pratiquer quelque chose où vous réussissez vraiment, faire quelque chose où vous êtes bon et où vous pouvez vous améliorez tout au long de votre vie. Je joue au bridge depuis 65 ans maintenant, et depuis deux ans j’ai développé mes compétences de manière exponentielle. Après ma conférence à Paris, je pars à Monaco pour le Championnat de Bridge.
IB : Et dans quelle mesure est-ce que le fait d’être bon dans un domaine est pleinement intégré aux forces, en particulier à une approche par les forces de caractère ?
MS : Sans doute pas totalement. Regardez Jenny, elle a 15 ans et a choisi de faire de la psychologie positive au lycée. Elle y est très douée et fait ça très bien. La chimie est dure pour elle, le Mandarin aussi, mais elle est naturellement douée en psychologie. J’aimerais que les jeunes trouvent où ils sont doués d’une part et de ce dont le monde a besoin d’autre part, pour ensuite trouver comment gagner en alliant les deux.
IB : L’idée d’être « naturellement doué » nous ramène au fait d’être bon quelque part, et ensuite ça devient éventuellement amusant. Ce n’est pas de l’ordre du flow, mais juste une partie du flow. Ce n’est pas l’expérience entière.
MS : Oui, le flow en fait partie, mais faire partie des meilleurs représente beaucoup de travail. Ce n’est pas du flow lorsque qu’il y a des progrès.
IB : Oui, le flow est une expérience optimale, ou plutôt l’une des expériences optimales. Il y en a plusieurs, simplement nous n’avons pas encore fait de recherche dessus. Une autre question qui me vient après lecture de votre livre est que vous revenez souvent sur les rêves. Dans The Hope Circuit, vous parlez d’avoir développé une théorie des rêves en 1987. Les rêves jouent clairement un rôle très important dans votre vie. Comment ce travail sur les rêves peut-il être intégré à la psychologie positive ? Est-ce qu’il y trouve une place ? Personnellement, je pense que oui, largement – l’interprétation que nous faisons de nos rêves peut contribuer au fonctionnement optimal.
MS : Un des chapitres que j’ai retiré du livre – car il a été estimé trop long – était celui sur les rêves. Je pense que ma théorie des rêves fait partie des choses les plus créatives que j’ai jamais faites, mais ce n’est pas sous les projecteurs de la psychologie positive, et personne ne fait la recherche qu’il faudrait sur les rêves.
IB : Je suppose que c’est parce que c’est associé à la « vieille école », la psychanalyse, etc. Une autre question à laquelle je pense : à la fin de votre livre vous parlez des thérapies qui traitent davantage de l’avenir, mais n’est-ce pas là justement la différence fondamentale entre la thérapie et le coaching ? Le coaching, le coaching de vie, ou encore le coaching professionnel se focalisent entièrement sur l’avenir, le futur de la personne, et sont généralement présentés en tant que tel. Quel est votre avis sur l’évolution du coaching en tant que profession ?
MS : Oui. J’ai beaucoup d’espoir par rapport au coaching, et finalement assez peu d’espoir en ce qui concerne les thérapies traditionnelles. Nous avons juste publié un livre intitulé « Positive Therapy » (Rashid and Seligman, Oxford, 2018) qui traite de l’application thérapeutique de ce que nous faisons en psychologie positive. De manière générale, si quelqu’un s’est vu diagnostiqué une pathologie, le chemin est long et difficile. Ainsi, je pense qu’avec la prévention et le coaching on prépare les gens pour l’avenir. J’ai donc bien plus espoir en le coaching, la prévention et l’éducation.
IB : Bien sûr, à l’heure actuelle le coaching en est encore à ses débuts par rapport à la thérapie, mais sans aucun doute le potentiel est là. Le coaching peut être vu comme un vecteur de développement pour une orientation vers le futur et de la projection de soi.
MS : Il n’y a que peu de chercheurs travaillant sur les résultats du coaching, et il n’y a pas de financement pour faire de la recherche sur le coaching en ce moment, puisque les subventions sont réservées aux pathologies reconnues. Pour ce qui est du coaching, certains éléments sont bien développés, et les mesures sont plutôt bien conçues, mais nous manquons d’études sur l’issue du coaching, à quel point cela fonctionne, quand ça fonctionne, et quand ça ne fonctionne pas.
IB : Il y a en fait quelques méta-analyses sur l’efficacité du coaching, donc des études nouvelles émergent.
MS : Oui, et il y a des méta-analyses sur les différentes interventions en psychologie positive, donc cela pourrait mener à une psychologie du coaching viable.
IB : Et que pensez-vous de l’ensemble du mouvement autour du bonheur au travail ? Avez-vous des réserves à ce sujet, ou sur la manière dont le sujet est mis en application ? C’est un marché énorme à l’heure actuelle.
MS : Pour moi, cela fait partie du développement d’exercices de projection de soi qui fonctionnent. Personne n’a encore effectué les bonnes études sur ce sujet. La multitude de problèmes autour du moral au travail représentent un bon endroit pour mettre en application la psychologie positive, et je pense que les employés peuvent être plus focalisés, plus dans le flow, avec moins de burnout – il y a beaucoup de possibilités qui émanent de la psychologie positive pour le monde du travail, mais à ce jour nous n’avons pas encore bien pénétré ce marché. Je pense néanmoins que la psychologie positive à beaucoup à offrir.
IB : Je suis d’accord avec vous. Le marché est énorme, mais à l’intérieur de celui-ci il y a beaucoup de charlatans. Ce slogan du bonheur au travail est très simpliste, et pour ce qui est de la recherche à ce jour, ce n’est pas un argument très convaincant. L’engagement au travail, oui – être plus focalisé ou concentré au travail, oui, et le bien-être pour assurer la durabilité de l’engagement, oui - mais le bonheur au travail est une sur-simplification assez grossière.
MS : En effet, je suis d’accord.
IB : Et pour ce qui est de l’éducation, quelle est la prochaine étape ?
MS : Je termine actuellement un chapitre sur l’Education Positive pour les Nations Unies – ça se répand dans le monde entier. Je pense que c’est de plus en plus mis en œuvre partout. La recherche montre que cela augmente non seulement le bien-être, mais également les performances telles qu’elles sont mesurées via les évaluations classiques. Et il y a aussi beaucoup de personnes qui l’utilisent, donc personne n’a le monopole de l’éducation positive. De nombreux exercices testés et validés augmentent le bien-être des enfants, donc peu de préoccupation au niveau empirique.
IB : Ma question est la suivante : ne sommes-nous pas un peu désuets ? Nous travaillons sur le bien-être, nous travaillons sur la résilience, mais quand je parle à mes enfants ils me disent « Maman, tu vis au siècle dernier ! La seule chose qui compte vraiment est d’être aimé sur les réseaux sociaux, sinon tu n’existes pas ». Je me demande donc si l’éducation positive est réellement en phase avec ce qui compte vraiment pour les générations actuelles. Est-ce que nous travaillons la bonne question ?
MS : Vous devriez les faire travailler dessus car je suis certain que vous avez raison. Nous n’avons pas encore réellement intégré la psychologie positive avec la question des réseaux sociaux.
IB : Je me demande aussi si le bien-être devrait réellement être notre premier souci en éducation positive, ou si nous devrions regarder de plus près le « grit » (le cran) et la capacité à se concentrer.
MS : Je suis d’accord avec vous pour le « grit ». Et la capacité à se concentrer est une excellente question aussi, d’autant plus que ça demeure quelque chose que nous ne comprenons pas encore vraiment. Il existe une psychologie de l’attention depuis plus de cent ans, mais elle n’a jamais réellement touché cela du doigt. Nous ne parlons pas de flow, cette capacité, cette focalisation, c’est différent. Donc, oui, vous posez de très bonnes questions. J’aimerais que quelqu’un fasse de la recherche là-dessus. Ça me servirait bien au bridge ! C’est mon plus gros problème au bridge.
Comme toujours, vous identifiez mieux que moi où devraient être nos priorités ! J Les réseaux sociaux dans l’éducation et la focalisation, « focus » en anglais, au travail.
IB : Je dois ça au fait d’élever 5 enfants dans des conditions « non-optimales » (parents divorcés, déménagement d’un pays à un autre, famille reconstituée, …) et d’observer au quotidien ce qui compte réellement dans leurs vies en ce moment ? Grace à vous, je me rends compte que je ne suis pas très optimiste, mais qu’en revanche je suis vraiment très orientée vers le futur.
MS : Aussi – puisqu’on parle d’éducation – l’anxiété, le stress, la dépression et le harcèlement sont d’énormes problèmes dans le milieu de l’éducation aux Etats Unis.
IB : Pas seulement. Ces problèmes existent également ailleurs. Et malheureusement, je ne sais pas si nous enseignons ce qu’il faut dans nos programmes de résilience. Quelque chose me dit que nous ne traitons pas ces problèmes en profondeur. En fait nos enfants ne sont plus vraiment confrontés à de réelles difficultés.
MS : En effet…Permettez-moi de poser problème général qui m’inquiète le plus dans notre éducation. Je pense qu’il est clair que nous vivons dans un monde bien meilleur qu’auparavant. Ainsi, la question est pourquoi n’y a-t-il toujours pas de réelle augmentation du bien-être ; alors qu’on constate au contraire une augmentation de la dépression, plus d’anxiété et un manque de sens accru ? Pourquoi nos jeunes ne sont-ils pas sensibles au fait que le monde est tellement mieux maintenant ? C’est la problématique effrayante du sentiment que « tout vous est dû ».
IB : Parce ce qu’ils sont habitués à un cocon, un monde confortable où tout leur est plus ou moins servi sur un plateau.
MS : Oui…
IB : Et ils ne sont confrontés à presque aucune vraie difficulté maintenant, et lorsqu’ils sont face à un petit problème – comme une séparation avec un petit-ami ou une petite-amie, ou qu’ils n’obtiennent pas la note qu’ils espéraient – alors c’est la catastrophe. Je pense que nos programmes de résilience étaient bien adaptés au contexte il y a 15 ans, mais ne sont plus adaptés à l’époque actuelle.
MS : On peut aussi rattacher cela à une focalisation sur le présent, et peu de conception du passé, de l’histoire. Nos enfants sont incroyablement peu conscients de l’histoire. Ils apprennent le contrôle et la maîtrise, mais ne sont finalement pas très aptes à se projeter dans le futur. C’est ce sur lequel je travaille actuellement – le développement d’exercices de projection qui pourront être utilisés à l’école. On identifie des individus qui sont de très bons pronostiqueurs du futur, et nous pourrions apprendre comment ils font.
IB : Quels sont vos souvenirs les plus récents de la France ? De votre dernier voyage en France ?
MS : Les vins merveilleux et la gastronomie. Je suis un vrai épicurien lorsqu’il s’agit de boire et manger en France.
IB : Et que pensez-vous de ce « malheur français paradoxal » ?
MS : J’ai été frappé par les rapports sur le bonheur en France, par le fait que le bien-être moyen d’un Danois au chômage est plus élevé que celui d’une personne ayant un emploi en France. Je ne suis pas convaincu que cela soit réellement le cas d’ailleurs. J’aimerais savoir à quoi ressemble le bien-être en France, au travers des mesures plus larges de Gallup par exemple.
IB : Si on regarde les données sur le bien-être en France d’un point de vue international, la France se positionne généralement entre la 22ème et la 30ème place. Donc, est-elle relativement heureuse, bien que moins que ce à quoi nous pourrions nous attendre sur la base du PIB. Ce qui ressort fortement de la majorité des études mondiales, cependant, est que la France est championne du pessimisme. Ce ne sont pas seulement les données qui me font dire cela, mais également mon vécu. Les français font preuve de pessimisme ancré et convaincant.
MS : Oh c’est très intéressant. Le pessimisme, contrairement au fait de ne pas sourire, représente un vrai frein. Vous pouvez ne sourire que rarement, car ne pas sourire ne représente pas un frein. Mais si vous êtes pessimiste et peu résilient, cela peut vraiment affecter votre vie.
IB : D’après votre expérience, comment les français perçoivent-ils la psychologie et l’optimisme ?
MS : Je me demande s’il ne serait pas utile de comparer la France avec la Russie, car le pessimisme russe est également similaire. Quelles sont vos réflexions sur la comparaison entre le pessimisme gaulois et le pessimisme Russe ? Il s’agit peut-être aussi de problèmes particuliers qui engendrent le pessimisme – problématiques individuelles, spirituelles, nationales, ou le manque de contrôle. Existe-t-il des problématiques communes entre la France et la Russie ?
IB : Comment pourrions-nous présenter et amener de l’optimisme au français de manière à ce que ça leur soit acceptable et pas trop éloigné de leur perception ?
MS : Alors justement, à mon avis ceci serait sur la liste des choses à étudier car augmenter l’optimisme, ou du moins un optimisme flexible qui convient à la culture, est très important.
IB: quel est le pouvoir de l'optimisme?
MS : Les pessimistes ont tendance à attribuer les causes des événements négatifs à des facteurs permanents, omniprésents et incontrôlables. Les personnes au style pessimiste sont plus exposées au risque de dépression que leurs homologues optimistes. À l’inverse, les optimistes ont tendance à attribuer les causes des événements négatifs à des facteurs temporaires, spécifiques et contrôlables. Et ceux-ci agissent également comme un tampon contre la dépression.
IB : Comment le fait d’étudier l’optimisme a changé votre vie ? Une anecdote ?
MS : Comme vous le savez, j’ai grandi plutôt pessimiste. Mais je pense aussi que seul un pessimiste peut écrire et effectuer des travaux scientifiques sérieux sur l’optimisme. J’utilise les compétences dont je parle tous les jours. Grace à toutes ces années de travail sur l’optimisme, je suis devenu ce que j’appelle un « optimiste flexible ». Je sais différencier les situations qui requièrent de l’optimisme des situations qui n’en bénéficient pas et qui demandent une vision réaliste du futur et non une vision teintée de rose.
Lorsque je fais cette distinction, si c’en est une où les compétences de l’optimisme vont porter leurs fruits, alors je mets en œuvre mon arsenal de compétences en optimisme. Cela me permet de mieux lancer différents projets. Mais quand je me retrouve dans une situation où le prix à payer pour un échec serait très élevé, important et potentiellement catastrophique, alors ce que je souhaite c’est un réalisme implacable. Dans ce cas, je retombe sur mon pessimisme naturel.
IB : Quelle influence l'optimisme peut-il avoir sur notre vie ?
MS : Il y a tant de données sur les raisons pour lesquelles l’optimisme est une bonne chose, y compris des résultats positifs significatifs en matière de santé. Nous avons notamment découvert que les optimistes sont moins déprimés et anxieux que les pessimistes, qu’ils ont moins de rhumes, un système immunitaire plus fort et un risque cardiaque beaucoup plus faible que leurs homologues plus pessimistes. Les optimistes ont tendance à vivre huit ans de plus. Ils se remettent même plus rapidement d’une opération chirurgicale et font état d’une meilleure qualité de vie par la suite. Les optimistes n’abandonnent pas facilement, même lorsqu’ils sont confrontés à une grave adversité, alors que les pessimistes sont plus susceptibles d’anticiper une catastrophe et d’abandonner en conséquence. Dans l’ensemble, les optimistes sont davantage orientés vers l’action lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes..
IB : Quelle est votre technique préférée pour développer l’optimisme ?
Il y a une compétence que tout le monde possède et utilise généralement à mauvais escient. Cette compétence s’appelle la réfutation. Dans les programmes d’optimisme appris nous apprenons tout d’abord aux personnes à reconnaitre les choses catastrophiques qu’elles se disent à elles-mêmes. Par exemples, elles se disent peut-être « Personne ne va m’apprécier à cette soirée. Je ne m’amuse jamais aux soirées ». Nous leur apprenons d’abord à prendre cela comme si ça avait été prononcé par une personne tierce, dont le but dans la vie serait de les rendre malheureux. Ensuite, de réfuter, de contester cette façon de voir comme elles le feraient avec une quelqu’un qui chercherait à les rendre malheureux. Lorsque vous vous racontez ces choses à vous-même, vous les traitez comme si elles étaient vraies. Nous possédons en général la capacité à réfuter, contester, ce que disent les autres lorsqu’elles nous accusent à tort, et nous pouvons également apprendre à le faire avec nos propres fausses généralisations excessives. Ceci est la compétence centrale non seulement de l’entrainement à l’optimisme appris, mais également en thérapie cognitive.
IB : Qu’en est-il de la psychologie positive en général ? Avez-vous le sentiment que c’est gagné ? Que la psychologie positive a été reconnue par la plupart des psychologues et psychiatres ? Ou pensez-vous que ce défi est encore d’actualité ? Que souhaiteriez-vous dire aux sceptiques ?
MS : Lorsque j’ai débuté ma carrière de psychologue, les questions auxquelles nous étions confrontés concernaient uniquement le fait de soulager la souffrance, ce que Freud et Schopenhauer nous ont dit de faire. Maintenant, grâce à la psychologie positive, nous posons également des questions sur l’épanouissement et non plus seulement sur comment soulager la douleur. La psychologie positive bénéficie d’une énorme reconnaissance de la part de professionnels dans le monde entier, y compris les psychologues et les psychiatres. Des centaines de cursus universitaires enseignent la psychologie positive, il existe plus de 20 Master en psychologie positive, les gouvernements mesurent le bien-être et l’épanouissement de leurs populations, et il y a des conférences sur le sujet dans le monde entier.
J’estime cependant que la critique est une bonne chose, et elle est essentielle. Contrairement aux spectacles de Broadway, que les critiques peuvent démanteler, en science c’est à la critique que vous répondez et cela vous permet d’approfondir et corriger vos travaux. Cela étant, il existe des critiques constructives, mais aussi des sophismes. J’estime qu’il y a beaucoup de critiques auxquelles la psychologie positive se doit de répondre. L’une d’entre elles étant que la psychologie positive est égoïste et devrait plus se pencher sur les autres. Et c’est une critique très importante. Une autre est que nous devons créer un monde meilleur, créer une meilleure économie, afin de garantir que tout le monde vive mieux. Et je pense que c’est aussi une critique très sérieuse à laquelle nous devons réfléchir – la psychologie n’est-elle qu’un épiphénomène de la prospérité ? Ensuite, il y a les sophismes – que c’est de la « happyologie », un truc de smileys. La psychologie positive n’a rien à voir avec des smileys, elle traite de sens et de but dans la vie, de qualités, de civisme et d’accomplissement. Lorsque les critiques répètent en boucle que la psychologie positive se soucie de bonheur superficiel, alors là oui, ça m’agace.
La bataille n’est ainsi jamais gagnée, mais les progrès et les avancées sont énormes.