Durant cette période de confinement, je pense fort à des épisodes de mon propre vécu, à mes proches, à toutes les personnes que j’ai rencontrées, ou avec qui j’ai travaillé en psychothérapie. A des personnes qui ont vécu des expériences très similaires, pour avoir été soit emprisonnées pour des raisons fortement injustes, ou pour avoir dû rester longuement chez elles à cause de bouleversements socio-politiques importants, ou encore, pour des raisons de sécurité en temps de guerre ; ou des raisons de santé. Je pense aussi aux nombreuses personnes réfugiées, qui par crainte de se faire arrêter à n’importe quel coin de rue, préfèrent sortir le moins possible. Chaque sortie devient un fardeau et un stress quotidien, marqué d’incertitude.
Ainsi, ce confinement actuel suscite surtout un sentiment de compassion et une visualisation encore plus précise de ces expériences entendues et imaginées plusieurs fois. Les contextes sont certainement très différents, n’affectant pas toujours dans la même mesure notre vie sociale, que notre confinement actuel.
En pensant à vous, croisés sur mon chemin, autant personnel que professionnel, je suis ébahie, inspirée, et puise dans vos visages et dans vos forces.
En effet, un jeune homme qui sourit et utilise son sens de l’humour, après m’avoir raconté une douloureuse expérience d’isolement, de torture et de prison, m’inspire l’espoir. Lorsqu’un seul échange social de confiance et surtout de respect et dignité redonne une visibilité sur un futur plus rayonnant malgré de douloureuses expériences, je crois en une humanité pleine de beauté et de potentiel. Ce jeune homme a recours durant nos séances à des exemples de pièces de théâtres, regardées à la télévision, étroitement liées à sa propre expérience, qui lui permettent de sentir sa voix portée et entendue, et de se sentir moins isolé dans son vécu. La création artistique, dans ce cas, facilite la restauration de la justice.
Il me revient aussi le sourire d’une jeune femme souffrant de violence conjugale et ayant perdu un membre de sa famille pour les mêmes raisons ; qui à cause des impératifs de son mari doit rester ‘confinée’ chez elle. Confinement psychologique, dans la mesure où exprimer ses propres besoins en séance est très pénible, et où ses propres désirs se retrouvent égarés. Confinement physique, où toute sortie doit être dument justifiée, et où son corps doit rester tendu pour ‘au cas où’ que son mari se mettrait soudainement en colère contre elle. Etablir des relations positives avec sa voisine et se concentrer sur l’éducation et le bien-être de ses enfants est un des moyens permettant à cette jeune femme de survivre à la situation, le temps qu’elle puisse créer de nouvelles possibilités.
C’est en hommage à vous, à vos belles personnalités, et à vos forces, que je ne peux qu’écrire et faire savoir aux autres de prendre conscience de tous ces confinements déjà présents et parfois même invisibles, et de relativiser pour puiser dans cette expérience collective actuelle et difficile pour certains. La liberté est un cadeau, surtout celle d’avoir la possibilité d’être chez soi par sécurité, pour soi et pour les autres. Et le privilège de pouvoir traverser collectivement une épreuve, en opposition à devoir être isolé, à titre individuel sans aucun, voire peu de, soutien disponible.
Les nouvelles exigences constituent un entraînement pour notre conscience collective, et celle du système interdépendant auquel nous appartenons, où chacun a un rôle et une place. Ensemble, c’est plus simple. Ensemble, nous pouvons aider, créer et innover. Ensemble, nous pouvons nous dépasser.
Line Abou Zaki
Psychologue clinicienne et positive