Quatre générations de gestion du temps
Depuis les années 1950, une multitude d’outils de gestion du temps, de livrets d’auto-assistance et de formations ont été développés afin de résoudre le problème du manque de temps (Blanchard & Johnson, 1982), un problème qui existe depuis l’époque antique romaine. Les premières interventions consistaient simplement à inscrire des rappels à l’ordre du jour ou à faire des « to do list » afin d’améliorer la performance au travail (Mackenzie, 1972 ; McCay, 1959). Dans un deuxième temps, des agendas papier ont été utilisés pour fixer les objectifs et organiser les tâches. Les chercheurs ont rapidement reconnu que la planification et la programmation de celles-ci n’aboutissent pas automatiquement à leurs réalisations, encore moins sous pression (Drucker, 1967 ; Lakein, 1974). Une troisième génération de mesures de gestion du temps s’est concentrée davantage sur l’application des valeurs individuelles lorsqu’il s’agit de planifier à l’avance et d’établir les priorités quotidiennes des activités. Macan (1994) a remis en question la valeur de ces stratégies de gestion du temps, car – selon ses constatations – le contrôle perçu de la personne sur son temps détermine si sa gestion du temps est bénéfique (Macan, Shahani, Dipboye, & Phillips, 1990).
Ces trois générations mettent l’accent sur les méthodes et l’efficience, mais le projet d’aider les gens à identifier ce qui est important pour eux, a totalement échoué. Par conséquent, Covey et al. (1994) ont ressenti le besoin de déplacer l’attention vers l’efficacité et la priorisation des relations. Ils supposent que nous devrions nous gérer nous-mêmes plutôt que de gérer notre temps et d’attribuer les ressources à ce qui est important (lié à la valeur) pour nous et non à ce qui est urgent (lié au temps). Les choses urgentes et sans importance devraient être déléguées alors que les choses non urgentes et sans importance devraient être éliminées.
Claessens et al. (2007) ont résumé les effets de 32 différentes études sur la gestion du temps et ont montré que les comportements de gestion du temps sont positivement liés à la perception du contrôle du temps, à la satisfaction au travail, à la santé générale et engendrent une diminution de stress. Les résultats ne sont pas uniformes en ce qui concerne la performance au travail. Laissons de côté l’efficacité de la gestion du temps !
CINQUIÈME GÉNÉRATION DE LA GESTION DU TEMPS - UN TEMPS QUI ENCHANTE
Pour être honnête, même toutes les stratégies de gestion du temps prises ensemble, nous, en tant qu’humains, n’aurons jamais le sentiment d’avoir assez de temps, aussi appelé « Time Famine » (Perlow, 1999). D’une part, il est dans notre nature de chercher de nouveaux projets et aventures et de meubler notre temps avec des activités. D’autre part, nous avons des frontières sociales et biologiques qui ne prévoient qu’un temps « libre » limité. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 58 % de la population mondiale passe un tiers de sa vie adulte au travail, soit 8 heures par jour. Supposons qu’un adulte dort en moyenne 6 à 9 heures par jour, qu’il passe 1 à 2 heures par jour à faire la navette et 3 heures à assumer ses obligations quotidiennes comme faire la cuisine, le linge, les courses, l’hygiène, il reste environ 3 heures de temps « libre » pour un individu personne à charge (enfants, membres de famille âgés, etc.). Vous pouvez imaginer combien de temps il reste aux mères et aux pères après les tâches parentales. Même la personne la plus « intelligente par rapport temps » n’est pas en mesure d’augmenter significativement son temps « libre ». Nous devrions donc nous demander s’il est si important d’optimiser notre emploi du temps de manière quantitative ou si nous ne devrions pas accorder plus d’attention au plaisir lié à nos actions ? Une cinquième génération de gestion du temps suggère de se concentrer sur la satisfaction à l’égard de notre temps (qualité) et l’investissement dans ce qui contribue à notre bien-être, résumé par Black et Bailey (2006) comme suit : « Ce qu’il vaut la peine de chercher, c’est la satisfaction. Ou encore mieux, du temps qui enchante » (Mind Gym, 2006, p. 2).
Selon le Mind Gym, la satisfaction avec le temps est une question de percepton et d’attitude envers lui. La meilleure chance de s’amuser, c’est d’être « une colombe battante », c’est-à-dire « heureuse que la vie soit pleine de choix et que je n’aurai jamais assez de temps pour faire tout ce que je veux, tout en cherchant des moyens de mieux utiliser le temps dont je dispose » (Mind Gym, 2006, p. 28). D’après la théorie du bonheur de Martin Seligman, passer la majorité de son temps sur des choses plaisantes, stimulantes et/ou significatives devrait nous rendre heureux, idéalement sur des choses qui sont au centre des trois sources (Selligman, 2002) (voir figure).
D’un point de vue professionnel, avoir la possibilité de poursuivre sa vocation ou de choisir un emploi plaisant est le premier pas vers le bonheur temporel. Si vous sentez que ce que vous faites en vaut la peine, le sentiment d’être « affamé » de temps ou de l’avoir gaspillé disparaît. Tout le monde n’a pas la chance de suivre son « travail de rêve » et nous avons tous des moments où il est impossible d’échapper à un travail ou à des tâches ennuyeuses. Dans ce cas, il existe une large palette d’actions possibles qui peuvent être entreprises pour se sentir plus heureux à propos de son temps. Jetons-y un coup d’oeil :
Préférences temporelles
Êtes-vous une personne planifiée ou spontanée ? Envie d’anticiper et d’avoir des certitudes ou plutôt ravi(e) d’explorer l’inconnu ? Les recherches montrent que chacun entre nous préfère un mode temporel à l’autre. Il est donc important de travailler d’une manière qui corresponde à notre préférence, car il a été démontré que cela mène à une meilleure performance et à moins de frustration. Bien évidemment, il peut parfois être utile d’emprunter des comportements à l’autre style, surtout lorsqu’il s’agit du fonctionnement du groupe (famille, équipe de travail, etc.).
Étiquetage des tâches
C’est du travail ou pas ? La façon dont nous vivons les tâches ou les activités dépend parfois aussi de la façon dont nous les étiquetons. Si un sentiment négatif au sujet du travail vient de l’étiquette que nous avons donnée plutôt que de la tâche elle-même, nous pouvons modifier l’expérience simplement en la reformulant. Par exemple, pour une personne qui aime se connecter aux autres, tenir une réunion ne devrait pas être étiquetée comme « travail ».
Transformer le sens
En cas de tâches ennuyeuses ou déplaisantes, nous pouvons prendre le contrôle ce qui nous permettra de trouver du sens dans l’accomplissement jusqu’à l’objectif final. Le sens peut aussi consister dans l’apprentissage de quelque chose de nouveau ou dans l’amélioration de l’existant. “N’importe quel moment qui semble gratifiant est un bon moment.” (Mind Gym, 2006, p.49)
Fixer des objectifs qui permettent le « flow »
Les activités absorbantes, passionnantes et parfois éclairantes sont plus susceptibles de nous rendre heureux et de considérer que le temps a été bien dépensé. Csikszentmihalyi (1990) a appelé cet état « flow ». L’expérience des flux n’est possible que si les objectifs sont équilibrés. Cela signifie qu’il faut fixer des défis qui correspondent à nos compétences afin d’atteindre l’objectif. En d’autres termes, pour garantir cet état de « flow », nous avons besoin d’un objectif qui étend notre esprit sans demander trop d’effort.
Dire NON
Pour beaucoup d’entre nous, il y a un petit mot qui n’est pas si simple à dire, appelé « non ». Nous l’associons souvent au fait de relever de la culpabilité ou mauvaise conscience. Mais, si nous avons le sentiment que trop de notre temps est pris par les autres, nous n’aurons pas d’autre solution que de dire « non ». Contrairement à ce que nous pensons, dire « non » a beaucoup d’avantages : maîtrise de soi, lucidité, efficacité (pas de bêtises), réflexion, et, évidemment, une meilleure utilisation du temps. N’oubliez pas qu’un « non » n’est pas définitif, mais qu’il permet de réfléchir à la façon dont vous aimeriez passer votre temps.
Déléguer pour décharger
Combien de fois nous disons-nous : « Je préfère le faire moi-même, ce sera plus rapide » ou « J’ai peur, ça va mal tourner » ? Ces craintes disparaîtront une fois que nous aurons délégué de la bonne façon. Par conséquent, nous devons déléguer la bonne tâche, au bon moment, de la bonne manière, à la bonne personne. Parfois, il peut être utile de donner une tâche précise, ressemblant à une commande, comme par exemple : « Peux-tu- aller acheter de l’eau au supermarché s’il te plaît ». Si la délégation vise à transférer une tâche sur le long terme, par exemple « donner un atelier sur la résilience aux infirmières », une « délégation de capacités » serait plus appropriée. C’est-à-dire, il faudra prendre le temps pour instruire la personne, mais une fois qu’elle est bien équipée, elle est très autonome, ce qui nous permet de consacrer de plus en plus d’heures à des tâches et des activités autres.
Cultiver des émotions positives
Intégrer quelques petites plaisirs dans la routine quotidienne, comme cinq minutes de méditation, prendre un café avec un collègue, suivre un cours de danse après le travail, savourer un moment précis, etc., toutes ces actions augmentent les émotions positives ce qui permet de percevoir l’utilisation de notre temps de façon bénéfique. Pour ceux d’entre vous qui se demandent ce qu’il y a derrière le mot « savourer », une brève explication ici : « savourer », c’est être attentif et prendre plaisir aux beaux moments éphémères tels que l’odeur des roses à votre passage, l’amusement que vous ressentez quand un collègue vous fait une blague ou un compliment qu’on vous a fait. L’essentiel reste dans la recherche de ces expériences positives dans l’instant présent.
En vous donnant cet aperçu de la cinquième génération de la gestion du temps, j’espère ne pas vous avoir volé votre temps, mais vous avoir donné un volant pour naviguer joyeusement dans votre espace « temps ».